Introduction : l’innovation n’est pas toujours la même chose

par Serghei Floricel

Une innovation est une façon nouvelle ou améliorée de créer de la valeur pour des clients ou des utilisateurs. Il est important de comprendre que les manières d’innover sont multiples, à cause des différences dans la nature de la valeur créée ainsi que des solutions et des activités qui permettent aux entreprises de créer et capter cette valeur. Ces différences ont constitué le point focal des recherches du programme « Managing Innovation in the New Economy » (MINE), dirigé par les professeurs Roger Miller et Serghei Floricel. Ce programme est arrivé à la conclusion que des « joutes d’innovation » distinctes caractérisent les activités d’innovation dans différents secteurs de l’économie.

Les joutes d’innovation sont des configurations assez stables de pratiques d’innovation, partagées par un ensemble d’acteurs (entreprises, institutions financières, universités, agences gouvernementales etc.) impliqués dans des activités communes de création de valeur. Ces pratiques s’articulent autour de manières de créer de la valeur et génèrent des dynamiques spécifiques de l’innovation ainsi que des réseaux innovants avec des formes typiques. Pour les participants à tout projet d’innovation, il est important d’abord de comprendre la logique et les « règles du jeu » de sa joute, pour bien jouer ou, au contraire, pour échapper à sa logique.

La logique de chaque joute se manifeste essentiellement dans l’équilibre dynamique qui s’établit entre les forces déstabilisantes, qui empêchent les entreprises de créer de la valeur par l’innovation et de la capter de manière soutenable, et les forces stabilisantes, qui supportent la création de niches suffisamment durables pour assurer la pérennité des entreprises et de leurs activités d’innovation.

De manière paradoxale, le principal facteur déstabilisant est le dynamisme de la production de savoir pertinent pour l’innovation. Ce genre de savoir est produit constamment par la recherche fondamentale, par les activités de R&D et d’ingénierie, par l’accumulation d’expérience de production, d’opération et d’utilisation etc. Même si ce nouveau savoir génère des opportunités d’innovation, il réduit aussi les perspectives de création et capture de valeur par les opérations courantes et les projets d’innovation en cours.

On peut distinguer trois niveaux de dynamisme de la production de savoir. Le niveau le plus élevé est caractérisé par une production constante de savoir de type scientifique qui suggère des nouveaux principes qui peuvent être employés pour concevoir des produits. Le deuxième niveau est défini par une progression constante du savoir technologique, qui permet un changement significatif de la forme des produits ayant comme conséquence une augmentation importante de leur performance. Finalement, le troisième niveau est défini par une accumulation continue d’expérience de production, opération et utilisation qui favorise l’amélioration continue de la performance, de la qualité et de la fiabilité des produits et des services ainsi que la réduction de leur coût.

Pour permette aux entreprises de survivre et de continuer d’innover, cette pression constante du nouveau savoir et du potentiel d’innovation qu’il crée, doit être compensée par des conditions qui donnent aux entreprises le répit nécessaire pour mener à bonne fin les initiatives innovantes et de capter la valeur qu’elles créent. Une telle protection provient principalement de deux facteurs stabilisants.

Un premier facteur regroupe certaines conditions que nous avons réunies sous le nom de « potentiel de structuration ». Ces conditions proviennent soit d’arrangements institutionnels, tels que des mesures réglementaires ou protectionnistes, ou de mécanismes technico-économiques, tels que les économies d’échelle ou les effets réseau. Elles créent des avantages suffisamment durables au niveau des possibilités de création de valeur ou des coûts de production ou alors tiennent tout simplement à l’écart, du moins temporairement, les compétiteurs et leurs innovations potentielles. Nous avons établi également trois niveaux pour ce facteur.

Le potentiel de structuration le plus élevé provient d’une réglementation forte. Par exemple la réglementation concernant la santé et la sécurité des utilisateurs, comme celle présente dans les industries pharmaceutique ou aérospatiale empêchent la commercialisation de produits non certifiés. Des barrières similaires existent dans les domaines où la réglementation assure une protection efficace des droits de propriété intellectuelle. Ces conditions écartent d’une niche, pour de longues périodes, tout concurrent ou imitateur potentiel.

Le deuxième niveau provient de mécanismes, tels que les effets de réseau, qui confèrent un avantage disproportionnel et auto-renforçant à certaines entreprises. Un exemple d’effet de réseau est le phénomène quand la valeur d’un service augmente avec la croissance du nombre de ses utilisateurs. Ce phénomène explique, bien au-delà de la valeur intrinsèque du service, le succès de Facebook parmi les plateformes de réseaux sociaux et d’Amazon dans les plateformes de commerce en ligne. Ce genre de mécanisme permet à une entreprise de s’emparer de manière durable d’une bonne partie du marché (situation qu’on appelle en anglais « winner-take-all »).

Finalement, le troisième niveau de potentiel de structuration est caractérisé par des effets d’échelle, d’envergure, d’apprentissage, de différenciation et de réputation qui confèrent aux entreprises un avantage moins important mais assez durable par rapport aux compétiteurs. Ces effets protègent les niches par le fait que les entrants potentiels doivent investir dès le début des sommes importantes dans des activités de R&D et de promotion, des actifs et des systèmes opérationnels etc. d’une échelle et envergure comparable. Si les entreprises qui en bénéficient continuent à investir dans leurs capacités, ces effets peuvent leur assurer un avantage et une protection durables.

Un deuxième facteur stabilisant, que nous avons appelé « spécificité de la demande » est relié au fait que les clients visés par les entreprises présentes dans une niche ont des exigences particulières, qui découlent de leurs besoins avancés et complexes. Les entreprises qui visent ce genre de clients ont la possibilité d’accumuler un savoir spécifique sur ces besoins et sur les meilleures manières de les servir. Le fait que tout compétiteur potentiel devrait refaire ce long apprentissage, offre un avantage et une protection temporaire aux fournisseurs actuels grâce au fait que leurs clients manquent d’alternatives viables. Pour ce facteur nous avons établi deux niveaux. La spécificité de la demande élevée est caractérisée par des clients, souvent des entreprises, qui ont des besoins uniques, avancés et complexes tandis que la spécificité faible est caractérisée par des besoins ordinaires et assez simples, souvent présentes  dans les marchés de commodités et de masse.

Notre principale supposition était que les niches des entreprises innovantes sont viables si la force du facteur déstabilisant, dynamisme du savoir, est compensée par des facteurs stabilisants équivalents, notamment par un fort potentiel de structuration et, si celui-ci est insuffisant, par une spécificité de la demande élevée. La figure 1.1 présente une analyse de ces trois facteurs basée sur l’enquête du programme MINE, qui a obtenu plus de 700 réponses d’entreprises de différents secteurs, situées à travers le monde. La trame de fond de cette figure présente, sous la forme de petits losanges, triangles et carrés, la moyenne sur les variables qui mesurent le dynamisme du savoir et, respectivement, le potentiel de structuration pour 38 sous-secteurs, selon la classification NAICS, qui ont eu plus que 5 firmes dans notre échantillon. Si les petites figures sont noires ou remplies de couleur, les répondants ont qualifié comme forte la spécificité de la demande pour ces secteurs. Si les figures sont blanches ou non remplies, la spécificité a été qualifiée, en moyenne, comme étant faible.

Nous avons également classifié a priori les secteurs en trois catégories. Ceux représentés par des petits losanges sont les secteurs qui peuvent être associés à la biotechnologie, que nous avons supposé avoir un fort dynamisme du savoir. Les petits triangles désignent les secteurs que nous appelons digitaux, auxquels on attribuait un dynamisme moyen de la production de savoir. Finalement, les petits carrés désignent les secteurs de type manufacturier, qu’on présumait avoir, en moyenne, un dynamisme du savoir moins élevé.

Pour exemplifier ces secteurs, nous avons identifié et distingué également par un code de couleurs tous les secteurs biotechnologiques et digitaux, ainsi qu’un sous-ensemble de secteurs manufacturiers associés à la production de pâtes de papier. Un examen visuel de la figure montre que les secteurs pour lesquels nous avons supposé un dynamisme du savoir plus fort sont situés, en moyenne, plus haut que les autres. La figure permet aussi de valider notre hypothèse que les secteurs soumis à un dynamisme du savoir plus élevé (situés plus haut dans la figure) ont aussi, en moyenne, un potentiel de structuration plus haut (sont situés plus à droite).

La seule exception à cette relation semble concerner les secteurs biotechnologiques et digitaux, mais il ne faut pas oublier qu’une bonne partie des activités d’innovation en biotechnologie ont lieu dans l’environnement protégé (donc bien plus à droite) des universités et des centres de recherche gouvernementaux, qui ne sont pas captés par notre figure. Le pattern se reproduit même à l’intérieur des trois groupes. Par exemple, parmi les secteurs manufacturiers les secteurs associés au domaine aérospatial, tel que le secteur 3364, sont situés, en moyenne, plus haut et plus à droite que ceux associés à la production de pâtes et papier.

De plus, les secteurs qui bénéficient d’une spécificité de la demande plus forte (petites figures remplies), se situent en moyenne plus haut et à gauche que les secteurs qui font face à une demande moins spécifique. Ceci veut dire que les premiers ont la possibilité de faire face à un dynamisme de savoir plus élevé avec une protection moins forte, grâce à leur association avec des clients avec des besoins uniques, avancés et complexes. Toutes les relations décrites ci-dessus ont été validées à l’aide de tests statistiques, qui appuient notre hypothèse concernant l’équilibre dynamique entre les forces stabilisantes et les forces déstabilisantes.

Mais l’examen de la figure 1.1 suggère une autre hypothèse intéressante. Différents secteurs semblent reliés dans des chaines d’activités de création de valeur qui s’articulent autour d’un cycle d’change et renouvellement de  ressources pour l’innovation. Les échanges entre des entreprises ainsi qu’avec d’autres acteurs, tels que les universités et les bailleurs de fonds, génèrent des opportunités d’innovation, redirigent des ressources, incluant du savoir, vers leur réalisation et créent des niches pour les entreprises qui les poursuivent. Les niches qui s’articulent autour d’un cycle font face à une dynamique de savoir similaire et, grâce aux échanges entre elles, le rythme de l’innovation dans ces niches est synchronisé.

Ceci fait en sorte que certaines pratiques, notamment en ce qui concerne le savoir utilisé ou produit pour l’innovation et les échanges avec d’autres acteurs qui produisent du savoir, sont similaires dans les niches (secteurs) qui s’articulent autour du même cycle. Mais des différences en termes de potentiel de structuration et de spécificité de la demande font en sorte que d’autres pratiques, notamment celles qui concernent les manièrent de créer et capter de la valeur, sont spécifiques à chaque niche. De manière générale, on peut affirmer que les secteurs qui se trouvent dans la mémé région de l’espace représenté dans la figure 1.1 auront des pratiques similaires. Ceci a permis de raffiner la conceptualisation des joutes d’innovation, comme suit.

Les « joutes d’innovation » sont des configurations typiques de pratiques de gestion de l’innovation qu’on retrouve à travers plusieurs secteurs qui occupent des niches faisant face à des facteurs stabilisants et déstabilisants similaires. La Figure 1.2 présente les 11 joutes identifiées par les professeurs Roger Miller et Serghei Floricel en comparant les pratiques de centaines d’entreprises. On y voit également, la position approximative des niches qui génèrent ces joutes dans l’espace de la dynamique de savoir et de potentiel de structuration. Les lignes diagonales reflètent le fait que ces niches se trouvent dans une zone d’équilibre dynamique entre facteurs déstabilisants et stabilisants. La présence de deux diagonales distinctes capte le fait que les niches qui font face à une demande plus spécifique (diagonale noire) permettent aux entreprises de faire face à un dynamisme du savoir plus fort pour le même potentiel de structuration que les niches que les niches qui répondent à une demande moins spécifique (diagonale blanche).

La figure 1.2 représente également les trois cycles typiques de renouvellement des ressources pour l’innovation que les professeurs Serghei Floricel et Deborah Dougherty ont identifiés. Ci-dessous, nous allons expliquer ces cycles, en mettant l’emphase sur le renouvellement du savoir, qui est la ressource clé pour l’innovation. Nous allons également exemplifier deux joutes pour chaque cycle, une parmi celles avec une spécificité de la demande élevée (noms écrits en caractères noirs) et l’autre, parmi celles avec une spécificité basse (noms écrits en caractères blancs).

Le premier cycle est appelé « coévolution avec la science » à cause des interactions très fortes entre la recherche scientifique fondamentale, qui offre constamment de nouveaux principes, souvent radicalement différents, comme opportunités pour l’innovation, et le développement technologique, qui offre une rétroaction sur les difficultés concrètes d’implantation de ces principes et sur les phénomènes inattendus rencontrés durant ces activités. Cette rétroaction pose de nouvelles questions à la science et contribue à maintenir un dynamisme très élevé de production de savoir. Deux joutes s’articulent essentiellement autour de ce cycle.

La première s’appelle « Coureur de science » et représente un système structuré de financement des activités de R&D au-delà de des recherches fondamentales en vue de transformer les nouvelles opportunités provenant de ces recherches dans des produits commerciaux. Le réseau d’innovation est structuré comme une course à relais, qui suit les étapes de transformation de l’idée en produit. Dans le biopharmaceutique, secteur dominé par ce genre de courses, les grandes étapes s’appellent : découverte, essais précliniques, essais cliniques, et commercialisation. Un nombre élevé d’initiatives innovantes prennent le départ au stade de découverte, en proposant des innovations basées sur des nouveaux principes. Un bon nombre de ces initiatives sont portées par des entreprises en démarrage d’origine universitaire, car, même si elles aussi génèrent un grand nombre d’idées, les grandes entreprises ne peuvent pas maîtriser tout le savoir produit continuellement. Certains joueurs tentent de franchir toutes les étapes tandis que d’autres se spécialisent dans une ou deux étapes, en acquérant ou en vendant des compagnies ou des droits de propriété intellectuelle. L’échec fait partie du jeu et les pratiques de gestion sont axées sur l’identification rapide des projets sans chances de succès, qui sont éliminés pour éviter le gaspillage de ressources. Des partenaires de financement, souvent de type capital de risque, accompagnent l’initiative pendant quelques relais et récupèrent leur investissement en vendant leurs droits ou leurs actions. Un seul succès peut couvrir les dépenses causées par plusieurs échecs et même générer des profits pour les bailleurs de fonds. Cette joute prospère dans un contexte où les innovations sont protégées par un potentiel structurant fort, tel qu’un un cadre réglementaire de santé et sécurité et des lois de protection de la propriété intellectuelle qui excluent les imitateurs et compensent la déstabilisation causée par la très intense production de savoir.

La deuxième joute du cycle de coévolution avec la science s’appelle « outilleur de recherche ». Cette joute sert les besoins avancés et complexes des « coureurs de science » en offrant des équipements tels que des instruments et logiciels de visualisation, mesure et caractérisation ; des services de recherche contractuelle, exploration de données et tests cliniques ; des ingrédients, préparations et organismes pour la recherche expérimentale etc. Souvent les entreprises tirent leurs origines dans la joute des coureurs de science, parmi les joueurs qui ne sont plus capables d’attirer du financement pour mener à bon fin le développement de leurs produits innovants mais qui découvrent des opportunités de valoriser les compétences qu’ils ont développé durant les activités d’innovation. Cette joute profite encore plus des opportunités offertes par l’avancement rapide de la science et de la technologie mais pas autant d’un potentiel de structuration élevé, car ni les brevets ni la réglementation de santé ou de sécurité n’offrent pas une protection à toute épreuve. Les niches sont fondées plutôt sur une très forte spécificité de la demande ; les entreprises se spécialisent sur des applications très pointues et hautement exigeantes en termes de précision, fiabilité etc.

Le deuxième cycle de renouvellement des ressources pour l’innovation est celui de « recombinaison de technologies ». Dans ce cycle des technologies existantes sont incorporées dans des technologies en développement, qui, à leur tour, seront incorporées plus tard dans des nouvelles innovations. Pour la plupart, l’innovation ne consiste donc pas dans l’application de principes radicalement différents mais dans une nouvelle conception architecturale qui permet la création de combinaisons originales à partir de technologies existantes. Ainsi, les téléphones intelligents intègrent dans le même artefact compact la téléphonie cellulaire, les ordinateurs, la navigation Internet, les caméras et bien d’autres applications qui avaient initialement été développées séparément. Ce cycle inclut aussi, essentiellement, deux joutes.

La première joute du cycle de recombinaison de technologies est celle des « navigateurs d’architectures ». Les entreprises de cette joute offrent des produits uniformes, même s’ils incorporent des technologies hautement avancées. Des exemples incluent des produits digitaux complexes qui s’adressent aux marchés de masse tels que certains semi-conducteurs, logiciels (bureautique, fureteurs, jeux vidéo), plateformes Internet (Amazon, Facebook, Netflix etc.) et équipements électroniques (téléphones intelligents, portables etc.). Le réseau d’entreprises suit les liens dominants qui relient tous ces produits dans une architecture de plus en plus englobante pour permettre leur interopération. Cette architecture ne consiste pas uniquement dans une répartition « horizontale » des fonctions et des interfaces sur différents modules mais aussi dans plusieurs couches « verticales » allant du hardware jusqu’aux applications logicielles. Pour profiter des effets de réseau qui sont la principale source de protection dans cette joute, les entreprises doivent promouvoir ou s’aligner avec des solutions architecturales dominantes. Comme l’avancement des capacités des semi-conducteurs et des bandes passantes de communication et l’incorporation de nouvelles applications (Internet des objets etc.) demande des modifications constantes de l’architecture, l’innovation ne consiste pas uniquement dans la conception de produits qui englobent davantage de fonctions, sont plus performants ou plus compacts. Une bonne partie de l’effort consiste à trouver le meilleur découpage des modules, à standardiser d’une manière favorable les interfaces qui assurent la compatibilité entre modules, à gagner le contrôle, directement ou par alliances, sur les modules clé pour la fidélisation des clients et la capture de la valeur etc.

La deuxième joute du cycle de recombinaison de technologies s’appelle « intégrateur de systèmes » et réunit des entreprises qui combinent des technologies digitales dans des systèmes uniques qui répondent à des besoins très avancés et très complexes. Les exemples incluent les systèmes d’information (entreprises, banques, gouvernement) ; les équipements de télécommunication et, de plus en plus, des systèmes de défense. Même si ces systèmes incluent des composantes standard et s’articulent parfois autour d’un noyau central standardisé, leur réalisation demande une compréhension détaillée et même l’anticipation des besoins des clients, la capacité d’offrir des solutions adaptées sur mesure, l’habileté d’intégrer un vaste éventail de technologies dans un système qui fonctionne sans anicroche et même de se charger de son opération et entretien, en offrant de plus en plus le résultat sous forme de service. La protection provient principalement de la dépendance que les clients importants développent par rapport à ces intégrateurs de systèmes.

Le troisième et dernier cycle de renouvellement des ressources s’appelle « continuité d’apprentissage ».  L’innovation consiste dans un flux constant d’améliorations des produits et des processus de production et d’opération qui ont comme résultat l’augmentation de la satisfaction des clients, de la performance et de la qualité des produits et la réduction des coûts et des impacts non désirables des activités. Le savoir-faire qui permet ces améliorations graduelles est alimenté par l’apprentissage basé sur l’expérience accumulée dans la conception, la production, la distribution et l’utilisation de produits. Ci-dessous, nous allons discuter en détail seulement deux des sept joutes qui sont associées à ce cycle.

La première joute est celle appelée « optimiseur d’actifs ». Elle regroupe des entreprises qui produisent un grand volume de bien simples, souvent des commodités. Des exemples incluent des grandes utilités électriques, des entreprises minières et pétrolières, celles de production métallurgique et de pâtes et papier et même les grandes chaines de détaillants, telles que Walmart. Avec le temps, ces entreprises accumulent des actifs physiques importants. Leurs innovations se concentrent sur l’amélioration de la productivité des actifs, en commençant par les choix de leur taille et location, en continuant avec le développement de méthodes de coordination et logistique, et allant jusqu’à l’indentification et l’élimination des sources de problèmes et défectuosités. Étant donné le grand volume de production, même des petites améliorations qui augmentent la productivité des actifs, réduisent les temps d’arrêt et les rejets, etc. ont un impact global important. Ces entreprises sont protégées par les économies d’échelle, par les effets d’apprentissage et de réseau concernant les actifs, par les effets de notoriété et de réputation etc.

La deuxième joute du cycle de continuité d’apprentissage est celle des « appreneurs en duo ». Cette joute regroupe des entreprises qui offrent des systèmes ou des services qui répondent aux besoins très exigeants de clients industrielles, comme par exemple des entreprises appartenant à la joute des optimiseurs d’actifs. Des exemples sont les fournisseurs de matériaux, composantes ou infrastructures avancées, par exemple des installations pour la production de gaz industriels (oxygène liquide etc.). Pour éviter que leurs produits deviennent des commodités, les entreprises migrent successivement vers de nouveaux domaines d’application, qui ont des demandes de plus en plus exigeantes, identifient les clients les plus sophistiqués et développent une relation étroite avec ces clients, qui leur permet de comprendre leur problèmes et développer des solutions pour les résoudre. Par exemple, les fournisseurs d’oxygène industriel ont successivement servi des applications reliées à la soudure, à la production de semi-conducteurs et aux applications biomédicales. Cette relation leur offre aussi, temporairement, la protection nécessaire, mais la migration d’une application à une autre permet de distancer les producteurs de commodités.

Ce tour d’horizon a permis de souligner et d’expliquer les différences qui existent entre les activités d’innovation dans différents domaines. Bien-sûr, la réalité est toujours plus complexe qu’une théorie. Par exemple, on peut se questionner, à quel cycle et joute appartiennent des entreprises comme Amazon ? La réponse est que par leur plateforme Web elles jouent aux batailles d’architecture, tandis que par leur réseau de distribution elles s’apparentent aux optimiseurs d’actifs. Donc un possible développement de cette théorie est comprendre comment les entreprises peuvent intégrer, dans la même organisation, des pratiques appartenant à des joutes différentes. Mais la théorie peut déjà permettre aux gestionnaires de projets d’innovation de se poser, très tôt dans le processus, des questions fondamentales pour le succès de leur projet :

  • Sur quelles dimensions de valeur notre projet devra-t-il mettre l’emphase ? Comment créera-t-on cette valeur ?
  • Quels seront les défis de notre projet d’innovation ? Quel type de savoir est important pour confronter avec succès ces défis ? Comment évolue ce savoir ? Où peut-on obtenir ce savoir ? Quel genre de relations doit-on développer pour l’acquérir ?
  • Quel rôle jouerons-nous dans le réseau global d’activités d’innovation ? Quelles activités devrons-nous réaliser ? Comment gérer ces activités ? Qui seront  nos partenaires pour les autres activités ?
  • De combien de temps dispose-t-on pour capter la valeur produite ? Comment peut-on protéger davantage la valeur créée ? Avec qui devrions-nous collaborer ?
  • Comment assurer la pérennité de notre entreprise et de nos activités d’innovation?

Les thèmes suivants aborderont en détail la plupart de ces questions est donneront d’autres conseils utiles aux gestionnaires. Mais si vous désirez approfondir le thème en cours, vous pouvez lire les articles suivants, écrits par notre équipe de recherche:

Roger Miller & Serghei Floricel (2007) “Games of Innovation: A New Theoretical Perspective.” International Journal of Innovation Management, Vol. 11, No. 1, p. 1-36.

Serghei Floricel & Deborah Dougherty (2007) “Where do games of innovation come from? Explaining the persistence of dynamic innovation patterns.” International Journal of Innovation Management, Vol. 11, No. 1, p. 65-92.

Serghei Floricel, John Michela & Mark George (2009). “Resource feedbacks for continuous innovation: The articulation of firm, university, and goverment roles.” DRUID Summer Conference, Copenhagen, Denmark.